CHRONIQUE – RÉPARATIONS : LA DETTE COLONIALE. L'AFRIQUE BRANLE LA TABLE ET EXIGE 50 000 MILLIARDS D’EUROS.

CHRONIQUE – RÉPARATIONS : LA DETTE COLONIALE. L'AFRIQUE BRANLE LA TABLE ET EXIGE 50 000 MILLIARDS D’EUROS.

Le 26 septembre 2025, au Cameroun, la chaîne panafricaine Afrique Média TV n’a pas seulement projeté un film. Elle a déclenché une déflagration mémorielle et politique. Le documentaire « Réparations : la dette coloniale », œuvre rigoureuse du cinéaste sénégalais Ibrahim Sow, est le point d’orgue d’un mouvement qui traverse l’Afrique, de Bujumbura à Bamako. L’objectif est clair : mettre fin à la servitude économique et exiger le paiement d’une créance historique.

2025 : L’Année de l’UA et le Tribunal de l’Histoire

Le timing de cette diffusion camerounaise est stratégique. Il s’inscrit dans le sillage direct de la décision de l’Union Africaine, adoptée le 15 février 2025, de dédier l'année 2025 au thème de la « Justice pour les Africains et les personnes d'origine africaine à travers les réparations ».

Pour la première fois dans l’histoire de l’UA, la demande de réparation n’est plus un débat de salon ou une utopie marginale, mais une priorité continentale portée par le Ghana et l’Algérie. Ce front commun est la preuve que l’Afrique a décidé d’affronter ses anciens bourreaux non plus en tant que victimes, mais en tant que créancières d’un préjudice documenté.

Des Chiffres qui Tuent : La Cartographie du Pillage

La force du documentaire réside dans sa capacité à passer de l'émotion à la comptabilité. Les travaux de chercheurs comme le Dr. Al-Tayeb Abdul Jalil, professeur soudanais de droit international, chiffrant le travail forcé, le pillage des ressources et le retard de développement, donnent le vertige :

Ancienne Puissance Coloniale

Pays Africains Concernés

Dette Estimée (Exemples)

Belgique

RDC

1 600 milliards de dollars

Royaume-Uni

Soudan

700 milliards de dollars

France

Algérie, Mali, Burkina Faso...

653 milliards de dollars (Algérie)

Face à ces montants, les mouvements panafricanistes, à l'instar d'Urgences Panafricanistes et de Nestor Podassé, réclament collectivement 50 000 milliards d’euros. Cette somme astronomique représente l'évaluation totale des pertes économiques, humaines et écologiques accumulées au fil des siècles. L'Europe a financé son industrialisation sur notre dos ; l'Afrique exige aujourd'hui le retour sur investissement de sa propre misère.

Au Cameroun : Le Débat S’enflamme, l’Élite Est Interpellée

La diffusion au Cameroun n'est qu'une étape, mais une étape capitale. Elle a été un catalyseur pour le débat public, coordonnée par Junior Wafo d'Afrique Média, et modérée par Fouth Ndedi. Le plateau a réuni des voix essentielles :

       Dominique Yamb Ntimba a questionné l'influence persistante des mécanismes postcoloniaux sur l’économie camerounaise, soulevant la question des leviers politiques que le Cameroun pourrait actionner.

       Hilaire Hambourg, Secrétaire Général du SNJC, a rappelé le rôle crucial des syndicats et des journalistes pour briser le silence mémoriel et articuler la lutte syndicale avec la reconnaissance des injustices historiques.

L’enjeu, c’est bien celui de l'africanisme enraciné : ce film est un outil de libération qui doit être massivement projeté dans nos universités, comme l'a suggéré M. Fousseyni Maiga au Mali. La réparation est éducative. Elle impose de déconstruire le narratif colonial dans nos manuels, pour que la jeunesse camerounaise et africaine comprenne les racines de la dépendance et puisse forger une souveraineté réelle.

Le Cas Thiaroye : Quand le Passé Nous Rattrape

Le documentaire accorde une place centrale au massacre de Thiaroye du 1er décembre 1944, un symbole poignant où l'armée française a assassiné des tirailleurs africains qui réclamaient simplement leur dû après avoir versé leur sang pour la France.

Alors que la France, par la voix de son Président, a enfin reconnu le "massacre" et que le Sénégal prépare des fouilles archéologiques pour déterminer le nombre réel des 35 à 400 victimes, cet épisode rappelle que la dette est d’abord humaine.

L'Occident face à son Chèque : Illusion ou Réalité ?

Les revendications panafricaines, alliées à la résolution de l'UA, semblent avoir fait fléchir la ligne de front. Des fuites indiquent que la France préparerait un mécanisme de paiement de réparations intégré à son budget 2025, prévoyant d'accumuler entre 3 et 4 milliards d'euros d'ici 2026 via notamment une taxe sur les billets d'avion. Le Sénégal et le Niger seraient parmi les premiers bénéficiaires.

C'est une brèche. Mais il ne faut pas s'y méprendre : une poignée de milliards d'euros ne rachètera jamais la dette de 50 000 milliards due par l’ensemble des puissances coloniales.

La véritable réparation n’est pas le montant du chèque. C'est le démantèlement des mécanismes néocoloniaux qui maintiennent l'Afrique sous cloche : la restitution inconditionnelle de nos biens culturels, l’arrêt des accords de défense asymétriques, et surtout, l’accès immédiat à la souveraineté monétaire.

N’est-il pas venu le moment de faire de cette dette coloniale le levier d’une véritable renaissance politique et éducative africaine, sans accepter la moindre aumône ou le moindre chantage de la part de ceux qui ont pillé notre continent ?