La précarité des journalistes camerounais : un diagnostic alarmant et des pistes de solution par Hervé Tiwa Lontchi
Yaoundé, le 6 février 2025 – Dans une thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication (SIC) soutenue le 4 février 2025 à l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) de Yaoundé, Hervé Tiwa Lontchi dresse un constat sans appel sur la précarité des journalistes camerounais. Intitulée « Presse écrite, management médiatique et construction de la précarité des journalistes au travail : une analyse socio-économique des entreprises à capitaux privés au Cameroun », cette thèse de 370 pages explore les racines d’un mal qui ronge la profession depuis des décennies.
Un paysage médiatique en crise
Le travail de Hervé Tiwa Lontchi s’appuie sur une analyse approfondie du secteur médiatique camerounais, de l’époque pré-indépendance à nos jours. Il met en lumière une réalité troublante : la précarité des journalistes est le fruit d’une construction collective impliquant les patrons de médias, les journalistes eux-mêmes et les politiques publiques. « Comment peut-on interpréter la perpétuation de la précarité des journalistes au travail comme une construction collective ? », interroge-t-il dans sa thèse.
Le chercheur s’est appuyé sur des théories sociologiques et des études de cas concrets, notamment des médias emblématiques comme Mutations , La Nouvelle Expression, Le Jour et Le Messager. Il a également consulté des journalistes en activité et à la retraite, ainsi que des rapports officiels. Selon lui, le paysage médiatique camerounais, bien que dynamique en apparence, est en réalité en proie à des difficultés structurelles majeures.
En 2021, René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, avait déjà exprimé ses préoccupations concernant l’état de la presse au Cameroun. À l’époque, le pays comptait 600 titres de presse écrite, 100 stations de radio, 30 chaînes de télévision et une presse en ligne en pleine expansion. Un an plus tard, le nombre de titres de presse écrite avait grimpé à près de 700, mais seulement 80 publiaient régulièrement, et seuls 17 étaient des quotidiens. « La presse camerounaise évolue dans un environnement particulièrement difficile en termes de visibilité économique et de valorisation de ses ressources humaines », reconnaissait le ministre.
Des défis économiques et structurels insurmontables ?
Hervé Tiwa Lontchi identifie plusieurs obstacles majeurs à la viabilité des médias camerounais. Dans le sous-secteur de la presse écrite, les coûts de production élevés, l’absence de réseaux de distribution efficaces et la faible présence sur le marché limitent considérablement la rentabilité des journaux. À cela s’ajoute l’instabilité des salaires, voire leur inexistence dans certaines rédactions, ce qui plonge les journalistes dans une précarité chronique.
« Les salaires irréguliers et les défis financiers entraînent une perte de dignité du journaliste », souligne le chercheur. Cette précarité affecte non seulement la qualité du travail journalistique, mais aussi la crédibilité des médias eux-mêmes, piégés dans un cercle vicieux de faible rentabilité et de mauvaise gestion.
La digitalisation : une solution incontournable
Face à ces défis, Hervé Tiwa Lontchi propose des pistes de solution, notamment la transformation numérique des médias. « Pour vendre instantanément, les médias doivent mettre sur pied des stratégies de distribution en ligne », affirme-t-il. Il insiste sur la nécessité pour les médias comme Mutations , La Nouvelle Expression, Le Jour et Le Messager. de se digitaliser en créant des sites web performants, gérés par des professionnels maîtrisant les techniques de référencement, de marketing digital et de gestion des réseaux sociaux.
Cette transition vers le numérique, selon lui, est une stratégie clé pour viabiliser les entreprises de presse et assurer leur pérennité dans un paysage médiatique en pleine mutation. « Les médias ont l’obligation de s’adapter à l’ère numérique s’ils veulent survivre », prévient-il.
Un parcours riche au service de la recherche
Hervé Tiwa Lontchi, désormais docteur en SIC avec la mention très honorable, est un acteur incontournable du paysage médiatique et académique camerounais. Formateur associé au DIGITAL COLLEGE, Université française du digital depuis 2019, il dirige également le département de communication à l’Institut supérieur de traduction, d’interprétation et de communication de Yaoundé et de Douala. Avec près de neuf ans d’expérience dans l’enseignement des techniques digitales, il est aussi le promoteur de CDC-agency, une agence digitale.
Son parcours professionnel, riche et varié, comprend des expériences à la radio, à la télévision et dans la presse écrite. Ancien rédacteur en chef à Ariane TV, l’une des premières chaînes de télévision privées au Cameroun, il a également collaboré avec Afrik’Actuelle, un magazine panafricain d’enquête et d’analyse basé à Bruxelles.
La thèse de Hervé Tiwa Lontchi est bien plus qu’un simple diagnostic : c’est un appel à l’action pour sauver la presse camerounaise. Alors que le secteur médiatique est confronté à des défis économiques et structurels sans précédent, la digitalisation apparaît comme une solution incontournable. Mais pour que cette transition réussisse, elle devra s’accompagner d’une réforme profonde des pratiques managériales et d’un engagement fort des pouvoirs publics.