L’ANNULATION DES GRANDS TITRES FONCIERS AU CAMEROUN : QUE DEVIENNENT LES TITRES ISSUS DU MORCELLEMENT ?
La gestion foncière au Cameroun est confrontée à une problématique majeure : l’annulation des grands titres fonciers pour irrégularités. Cette situation a des répercussions importantes sur les titres issus de morcellement, posant la question de leur validité juridique.
INTRODUCTION : COMPRENDRE LE CONTEXTE ET LES NOTIONS CLÉS
La gestion foncière au Cameroun est confrontée à une problématique majeure : l’annulation des grands titres fonciers pour irrégularités. Cette situation a des répercussions importantes sur les titres issus de morcellement, posant la question de leur validité juridique.
Le morcellement foncier, qui divise un titre foncier principal en plusieurs parcelles distinctes, génère des titres accessoires. Mais lorsque le titre principal est annulé, que deviennent ces titres secondaires ? Cet article examine les impacts de cette annulation, en mobilisant les jurisprudences récentes de la CCJA et en proposant des réformes pratiques pour renforcer la sécurité foncière.
I. LES FONDEMENTS JURIDIQUES : LE PRINCIPE ET SES LIMITES
1. LE PRINCIPE "L’ACCESSOIRE SUIT LE PRINCIPAL"
En vertu du droit camerounais et de l’Acte Uniforme de l’OHADA, un titre foncier est présumé définitif et inattaquable, sauf en cas de fraude. Lorsque le titre principal est annulé, les titres dérivés (accessoires) peuvent être automatiquement invalidés. Ce principe est solidement ancré dans la jurisprudence, notamment :
CCJA, arrêt n°052/2020 du 12 février 2020 : Confirmation de l’annulation des titres accessoires suite à une fraude avérée sur le titre principal.
2. LES LIMITES DE CE PRINCIPE
Cependant, ce principe n’est pas absolu. La jurisprudence évolutive de la CCJA et des juridictions camerounaises introduit des nuances en cas de bonne foi ou de procédures régulières de morcellement.
II. LA BONNE FOI ET LES DROITS DES TIERS : UNE PROTECTION RENFORCÉE
1. LES APPORTS CLÉS DE LA CCJA
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) joue un rôle crucial dans la sécurisation des droits des tiers. Elle a rendu plusieurs décisions récentes qui établissent une protection des acquéreurs de bonne foi, même en cas d’annulation du titre principal.
CCJA, arrêt n°073/2022 du 14 avril 2022 : La Cour a statué que les tiers ayant acquis des parcelles issues d’un morcellement régulier et enregistré de bonne foi ne peuvent être lésés par une annulation du titre principal.
CCJA, arrêt n°112/2023 du 25 septembre 2023 : La Cour a reconnu la validité des titres accessoires lorsque les procédures de morcellement respectent les formalités administratives et techniques prévues par la loi.
Ces jurisprudences consolident la sécurité juridique des transactions immobilières et appellent à une vigilance accrue dans les procédures de morcellement.
2. UNE JURISPRUDENCE NATIONALE COMPLÉMENTAIRE
Les tribunaux camerounais renforcent cette tendance. Par exemple :
Cour Suprême, arrêt n°78/CS du 15 mars 2020 : Reconnaissance des droits des acquéreurs de bonne foi lorsque l’annulation du titre principal résulte d’une fraude antérieure à leur acquisition.
III. RÉFORMES ET PERSPECTIVES : VERS UNE GESTION FONCIÈRE PLUS TRANSPARENTE
1. LES DÉFIS ACTUELS
Les cas d’annulation massive de titres fonciers révèlent des failles structurelles :
Absence de transparence dans les registres fonciers.
Défaut de diligence dans les procédures de morcellement.
Faible sensibilisation des citoyens sur leurs droits et responsabilités.
2. RECOMMANDATIONS PRATIQUES
Pour répondre à ces défis, des réformes concrètes s’imposent :
- 1. Mise en place d’un Fonds de Compensation : Indemnisation des tiers de bonne foi lésés par des annulations.
- 2. Renforcement de la Transparence des Registres Fonciers : Digitalisation et accès public des titres fonciers.
- 3. Harmonisation Jurisprudentielle via la CCJA : Établissement d’un cadre clair pour sécuriser les droits des titulaires de titres accessoires.
- 4. Contrôles Techniques Renforcés : Obligation pour l’administration foncière de vérifier la conformité des morcellements.
IV. SYNTHÈSE ET CONCLUSION : RESPONSABILITÉ PARTAGÉE POUR UNE SÉCURITÉ FONCIÈRE DURABLE
L’annulation des grands titres fonciers, bien que nécessaire pour assainir le secteur, ne doit pas se faire au détriment des droits des tiers de bonne foi. Les récents arrêts de la CCJA, tels que ceux de 2022 et 2023, offrent des balises juridiques précieuses pour équilibrer la lutte contre les fraudes et la préservation des droits acquis.
Il revient à l’État, aux experts fonciers et aux citoyens de s’engager dans une gestion foncière transparente et rigoureuse. Avec des réformes adaptées et une jurisprudence cohérente, il est possible de renforcer la confiance dans le secteur foncier, un pilier de la stabilité économique au Cameroun.
Me Sylvestre Magloire Tamo
Expert des questions foncières
PDG de Wisdom International Ltd, agence agréée par l’État du Cameroun.