???? Du Cameroun au Cap-Vert, récit de l’opposant Fabrice Lena, évadé de la prison de Douala

Enfermé le 5 novembre à la prison centrale de New Bell, à Douala, Fabrice Lena, soutien d’Issa Tchiroma Bakary, est parvenu à s’évader. Jeune Afrique a retrouvé sa trace et a recueilli son témoignage.

???? Du Cameroun au Cap-Vert, récit de l’opposant Fabrice Lena, évadé de la prison de Douala

Par Yves Plumey Bobo

Publié le 20 décembre 2025

Fabrice Lena, 31 ans, s’est évadé le 12 décembre dernier de la prison centrale de Douala, où il était détenu depuis le 5 novembre pour « usage de faux en écritures publiques et authentiques ». Dans l’avis d’évasion émis le 16 décembre, Charles Philippe Nguiamba, l’administrateur principal des prisons du Cameroun, le décrit : Camerounais, teint noir, front bombé, nez très épaté, yeux marron, lèvres épaisses, menton carré, oreilles collées.

Quiconque identifierait l’activiste de l’opposition, originaire du Nord-Ouest, est invité à le reconduire à la prison de Douala, précise l’avis. Jeune Afrique l’a retrouvé. Fabrice Lena ne craint d’ailleurs pas de dévoiler sa position. Il est au Cap-Vert, hébergé par un contact qui l’aurait aidé à quitter le territoire camerounais alors que les autorités et son propre avocat espéraient encore le convaincre de réintégrer sa prison.

« J’ai été enlevé, kidnappé »

Le fondateur de Na Wa Future nous parle d’une voix traversée par l’émotion. Militant engagé en faveur du changement politique au Cameroun, directeur de campagne de Seta Caxton Ateki (le candidat anglophone à l’élection présidentielle du 12 octobre), Fabrice Lena avait ensuite publiquement apporté son soutien à Issa Tchiroma Bakary, quelques jours avant son arrestation. Le mot « arrestation » ne lui convient cependant pas.

« Je n’ai jamais été arrêté. J’ai été enlevé, kidnappé. Sans mandat, sans convocation, sans notification officielle. » Il raconte avoir été interpellé dans le quartier de Bastos, à Yaoundé, par des policiers en civil. « Ils m’ont demandé de monter dans leur véhicule. Quand j’ai voulu savoir pourquoi, ils m’ont répondu que j’allais être “sécurisé” au poste. » Fabrice Lena en est persuadé : son arrestation est politique, en lien avec ses activités au sein de l’opposition, pour laquelle il avait supervisé le décompte des voix pour la commune d’arrondissement de Yaoundé VI.

Peu après son interpellation, il est conduit à la police judiciaire, puis transféré de nuit à Douala. Un inspecteur lui présente alors deux déclarations de naissance d’enfants, sur lesquelles figure son nom comme père, datées de janvier 2025. Il affirme pourtant ne pas connaître ces enfants et ne pas avoir signé ces documents. « On m’a dit que l’affaire provenait d’une dénonciation du consulat de France […] Ce dernier n’a jamais déposé plainte. Le ministère de la Justice s’est auto-saisi », dénonce l’activiste.

« Je n’avais plus le choix, je suis parti »

« Même l’enquêteur a écrit noir sur blanc dans le dossier que rien ne prouvait que j’étais à l’origine de ces documents », assure-t-il aujourd’hui. Fabrice Lena est transféré à la prison de New-Bell, où les semaines passent lentement. Pour obtenir des permissions de sortie et des conditions de détention légèrement moins éprouvantes, il affirme avoir versé 1,5 million de francs CFA (2 287 €). Il est alors autorisé à sortir quelques jours, avant d’être rappelé à la prison.

« On m’a expliqué que l’ambassadeur de l’Union européenne devait me rendre visite et qu’il fallait que je sois là. Après cette visite, on m’a gardé en prison. Lorsque j’ai demandé ce qu’il en était de l’argent versé, on ne m’a rien répondu », raconte-t-il. « Après le passage de l’ambassadeur, tous les arrangements ont été annulés. Il a été décidé que je ne devais plus bénéficier d’aucun privilège », raconte l’activiste, qui explique également ne pas s’être senti soutenu par son avocat.

« J’ai fini par comprendre que j’étais considéré comme dangereux en raison de mon engagement politique. À partir de là, j’ai su que je ne serai pas libéré de sitôt et que mon dossier n’était plus judiciaire. J’ai décidé de me soustraire à la vigilance des gardiens », poursuit-il. Après son évasion, il reste quelques jours au Cameroun, puis quitte le pays. « Quand j’ai vu l’avis de recherche du 16 décembre, j’étais sur le point de partir mais je tentais encore de récupérer l’argent que les autorités m’avaient extorqué. »

« Je n’avais plus le choix, je suis parti », conclut-il. Le voilà désormais en exil, au Cap-Vert. Un sort qui rappelle celui de l’opposant qu’il avait fini par soutenir après la présidentielle du 12 octobre dernier, Issa Tchiroma Bakary. Ce dernier s’est quant à lui installé provisoirement en Gambie, à la faveur de ses réseaux, après avoir lui aussi réussi son évasion fin octobre, non pas d’une prison de Douala mais de la ville ultra surveillée de Garoua.