Économie : L'import-Substitution, un concept mal compris et mal appliqué au Cameroun

Économie : L'import-Substitution, un concept mal compris et mal appliqué au Cameroun

Par Louis-Marie Kakdeu

YAOUNDÉ – Depuis l'adoption de la Loi des Finances 2021, la politique d'import-substitution est présentée par le gouvernement camerounais comme la pierre angulaire de son orientation budgétaire. Pourtant, selon Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR, Deuxième Vice-Président National du SDF, cette politique fondamentale est non seulement mal comprise, mais surtout mal appliquée, risquant d'aggraver la situation économique au lieu de la redresser.


Qu’est-ce que l’Import-Substitution et pourquoi est-elle cruciale ?

La politique d’import-substitution est, par essence, une stratégie d’industrialisation visant à remplacer les importations massives par une production locale de biens et services. Son objectif principal est double : créer localement les richesses et stimuler la croissance économique.

Selon M. Kakdeu, l'historique des importations massives a "tué le tissu économique local". La seule véritable réussite dont on se souvient fut l'application de cette politique dans la filière avicole entre 2006 et 2016, suite aux dénonciations de l’ACDIC.

"Il n’est pas question de bloquer les importations sans encourager la production locale. Cela engendrerait à la vie chère. Il n’est non plus pas question de faciliter les exportations massives sans couvrir le déficit local ou national ; cela compromettrait la sécurité alimentaire."


???? Les Erreurs Stratégiques du Gouvernement

L'erreur fondamentale, martèle l'analyste, réside dans la mauvaise exécution. L’import-substitution exige de commencer par protéger les secteurs existants qui réussissent et ceux à fort potentiel de croissance. Or, l’environnement camerounais est caractérisé par une forte pression fiscale, entraînant la mort prématurée de 80% des jeunes entreprises avant deux ans, selon le patronat. Seuls 1,5% des entreprises ont plus de 25 ans.

1. Priorité aux Importations, Négation du Local

En examinant la Loi des Finances 2026, M. Kakdeu constate que l’État ne se concentre pas sur la protection de la production locale des besoins élémentaires, mais favorise plutôt l’importation massive dans des secteurs dits "prioritaires" (santé publique, énergies renouvelables, numérique, etc.).

C'est une erreur stratégique fatale, car cela signifie que l'industrie locale n'émergera jamais dans ces domaines. L'import-substitution, au contraire, devrait favoriser la production locale de ces mêmes produits pour éviter la dépendance étrangère.

2. L’Exemple Tragique du Sorgho

Une application désastreuse illustre ce paradoxe : dans la région de l’Extrême-Nord, où le mil/sorgho est l’aliment de base et où la malnutrition aiguë globale atteint 14%, le gouvernement a incité fiscalement à la signature d'un contrat pour livrer 17 000 tonnes de sorgho par an à une société brassicole, alors que la production locale totale était d'environ 4 000 tonnes. Cette politique néo-capitaliste a été une catastrophe pour la sécurité alimentaire.

3. Sur-Taxation de l'Innovation Locale

Le Cameroun se met également hors-jeu de la compétition mondiale en procédant à la surtaxation de la création de contenu (numérique, cinéma) depuis 2025, tout en favorisant "l’entrée gratuite de l’innovation étrangère".

L'analyste cite l'exemple de Buéa, autrefois surnommée la "Silicon Mountain" locale, où l'activité est désormais "morte". Conséquence : le pays taxe l'innovation interne, forçant les jeunes producteurs à s'expatrier, pour ensuite importer au prix fort les mêmes applications et contenus.

4. Le Fiasco de la Recherche et de la Vulgarisation

Alors que les chercheurs de l’IRAD ont découvert 26 variétés de riz adaptées à toutes les zones agroécologiques, le Cameroun importe toujours 97% de son riz. Le taux de vulgarisation des résultats de la recherche locale stagne à seulement 3%. M. Kakdeu dénonce l'absence de mesures dans la Loi des Finances 2026 pour combler ce déficit.


???? Conclusion : Le Risque d'un "Enfer Choisi"

Selon Louis-Marie Kakdeu, les lois de finances camerounaises sont en déphasage avec les préoccupations réelles du pays. Face à la panne de croissance, l'État opte pour les importations massives et le surendettement, au lieu de faire de la création de richesses locales la priorité absolue.

Lutter contre les déficits de production internes pour assurer la demande locale est le seul moyen d'éviter une crise sociale. Sans une volonté politique claire et l'intervention d'Experts rompus à la tâche, l'analyste conclut sombrement : "2026 sera l’enfer choisi par Certains."